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 NI NICHE NI MAÎTRE• Ma vie de chien errant à Moscou d'Alexandre Bourtine

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bailysse
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Date d'inscription : 13/03/2011

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MessageSujet: NI NICHE NI MAÎTRE• Ma vie de chien errant à Moscou d'Alexandre Bourtine   NI NICHE NI MAÎTRE• Ma vie de chien errant à Moscou d'Alexandre Bourtine EmptyJeu 19 Sep - 19:09


NI NICHE NI MAÎTRE• Ma vie de chien errant à Moscou

Ils sont 30 000 et vivent en meutes dans les friches industrielles de la capitale. Intelligents et remarquablement organisés, ils sont l’objet d’une étude comportementale.

Dans le sud-ouest de la capitale, entre les avenues Matveev, Otchakov et Mitchourine, du périphérique vers le centre-ville s’étend l’immense triangle d’une friche industrielle. Le paysage rappelle ceux des frères Strougatski [célèbres auteurs de science-fiction soviétiques, dont le roman Stalker a inspiré le cinéaste Andreï Tarkovski en 1979] : des entrepôts qui se succèdent à l’infini, des cimenteries, des terrains vagues, les squelettes de bâtiments où subsistent quelques vitres, des décharges, des zones de stockage de déchets industriels, des champs de sovkhozes depuis longtemps disparus, des potagers, des cahutes de SDF et même quelques petits villages à l’abandon. A l’horizon se dressent des tours d’habitation qui viendront bientôt empiéter sur ce monde archaïque. Cette sainte Russie qui disparaît est peuplée de chiens errants, des bâtards gris-brun, couverts de poussière, avec de grosses têtes et des yeux intelligents dans lesquels, contrairement à ceux des animaux domestiques, on ne lit rien de familier.
L’avenue Lomonossov marque la frontière de la zone industrielle. Au-delà commence le campus de l’université. A la faculté de biologie, l’équipe d’Andreï Poïarkov étudie depuis déjà un quart de siècle ses voisins à quatre pattes. Alexeï Verechtchaguine, qui dresse aujourd’hui des chiens sauveteurs, nous conduit à la friche industrielle. Nous y pénétrons en suivant une ancienne voie ferrée, donnant aussitôt l’alarme à deux créatures efflanquées qui se mettent à aboyer furieusement du haut de leur talus. Ce sont les sentinelles qui gardent l’accès à cet autre monde. “Les hommes tentent depuis longtemps de comprendre comment sont constituées les sociétés animales, m’explique mon guide. Des chercheurs ont passé des années dans les forêts auprès de loups et en ont rapporté des renseignements étonnants. Mais Poïarkov a eu l’idée d’observer ce qui nous est proche, les chiens errants, qui, en devenant sauvages, retrouvent des formes naturelles d’organisation.”
Nous parcourons les terrains vagues semés de blocs de béton et de carcasses de voiture. Cette partie de la zone industrielle abrite une vingtaine de meutes dont chacune compte jusqu’à sept adultes et leurs petits. Entre des wagonnets à l’abandon, nous tombons sur une portée. Deux mâles jaunes et un pie nous considèrent tranquillement. Une très belle femelle avec une tache sur la gueule et un regard mélancolique s’éloigne, timide, pendant que de tout petits chiots couleur crème qui la tétaient s’éparpillent en clopinant. “Ils n’ont pas peur, conclut Alexeï. Ils ont quelqu’un qui les nourrit.”
On considère que les meutes de chiens ou de loups respectent une structure hiérarchique. Le mâle le plus fort, Alpha, est le chef, et tous lui sont soumis. Le deuxième, Bêta, se soumet au dominant, mais domine les autres, et ainsi de suite jusqu’à Oméga, dominé par tous. A côté, on trouve les femelles, avec leur propre hiérarchie. Dans la pratique, cela signifie que, si on leur jette un morceau de saucisson, c’est probablement le dominant qui mangera en premier. Toutefois, cette théorie ne reflète pas plus la réalité canine que la Constitution russe ne reflète la nôtre. “Chaque meute a une organisation qui lui est propre, affirme Alexeï. Le dominant n’est pas forcément le plus fort, c’est souvent le plus expérimenté. Parfois, le dominant est une femelle qui a pris le dessus sur de gros mâles. La ville est un milieu bien plus complexe que la forêt. La qualité essentielle dont a besoin le dominant est l’intelligence et non la force. Avant, chez les humains, les femmes étaient aussi rarement leaders.”
On n’observe pratiquement pas d’agressivité entre les chiens, même s’il y a de la nourriture en jeu ; chacun connaît sa place. Ils entretiennent de bonnes relations, car la meute n’est pas constituée selon les liens du sang, mais de façon volontaire, par affinités. De nombreux chiens sont solitaires, non parce qu’ils sont rejetés, mais parce qu’ils se sentent assez forts ainsi. Nous approchons de l’entrée d’une cimenterie où de jeunes chiens s’ébattent dans la poussière. La gardienne appelle près d’elle Naïda, une femelle à poils longs, et Tchoubaïs, un mâle roux et maigre. Elle déplore que des chasseurs viennent régulièrement ici faire des cartons sur les chiens.
“Il y a une quinzaine d’années, une formidable meute vivait à cet endroit, c’était notre préférée, se souvient Alexeï. Ils avaient un chef charismatique, Batia, un grand chien blanc à la tête massive. Tous lui obéissaient, même les chiots, qui en général ne connaissent que leur mère. Il était très rationnel et décidait toujours tout lui-même. Nous plaisantions en disant qu’il avait même un chien à lui, un gros mâle un peu balourd, Iar, qui le suivait comme un toutou suit son maître.” Il y avait aussi Biélonos [Nez blanc], superbe, tout noir, avec des taches blanches sur la gueule et un nœud papillon sur le poitrail. C’était le plus fort, un vrai macho, toujours le premier à manger et à s’accoupler. Il avait engendré toute une ribambelle de chiots, mais ce n’était pas lui le chef, Batia avait plus d’autorité. Il y avait aussi Garri, un unificateur, qui voulait toujours que la meute soit réunie. Il y avait la chienne Siérouchka [La Grise] et ses petits ; puis est apparu Neptune, joyeux, très habile à coordonner les actions des différents chiens dans les bagarres. Mais à son arrivée, Biélonos a disparu.
Nous débouchons sur le bord d’un ravin abrupt où s’enfoncent les pattes d’acier de rebuts industriels. En contrebas, se faufilant entre les haies des potagers, des chiens se suivent à la queue leu leu. C’est une noce. Des mâles de diverses meutes, langue pendante, se pressent derrière une femelle en chaleur. La chance va sans doute sourire au plus fort, mais peut-être aussi à un petit malin si les costauds entreprennent de se battre entre eux. Cela n’empêche pas de nombreux mâles et femelles de s’aimer et de passer leur vie ensemble, à l’intérieur d’une meute ou non. Mais une femelle peut toujours être accessible à d’autres mâles et un mâle peut courir d’autres jupons. Le plus souvent, les meutes comptent deux fois plus de mâles que de femelles. Ce rapport fait que la population est plafonnée. Le nombre de chiens errants à Moscou reste stable, on l’évalue à 30 000. Les informations lancées de temps à autre sur une explosion de ce chiffre ne sont que des rumeurs.
Ces 30 000 chiens n’ont pas tous le même genre de vie. Environ un tiers gardent des parkings ou des usines. Ils sont nourris, ont droit à une niche et obéissent aux ordres qu’on leur donne. Les autres, plus ou moins sauvages, appliquent différentes stratégies pour s’en sortir. “Certains vivent sur des sites industriels ou dans des cours d’immeuble, précise Alexeï, mais se procurent eux-mêmes leur nourriture en fouillant dans les détritus. Il y a des mendiants solitaires, qui ne sont attachés à personne mais connaissent à fond la psychologie humaine. Un seul coup d’œil leur suffit pour repérer dans une foule la gentille dame qui aura pitié d’eux. Ils s’en approchent à petits pas en agitant la queue d’un air attendrissant. Il y a les chiens du métro, qui choisissent un emplacement rentable au milieu du flot de voyageurs et ne se donnent même pas la peine de quémander ; ils se contentent de rester allongés, et il passe tellement de monde durant la journée qu’ils seront nourris de toute façon.”
Les meutes vraiment sauvages vivent dans les friches industrielles. Elles ne sont socialisées que dans les limites de leur propre système canin et n’ont pas de rapports avec les hommes. Elles font le tour des décharges, chassent les rats et les chats. On ne trouve pratiquement aucun chien de race égaré parmi eux. Les chiens de race sont comme le héros du Livre de la jungle, Mowgli : ils ne savent rien faire une fois sortis du milieu où ils ont été élevés. Loin des hommes, ils sont incapables de se nourrir, ont peur des voitures, ne sont pas aptes à prendre des décisions. Il faut ajouter que les chiens errants sont le produit de nombreuses années de sélection. Un chien stupide va vite se faire capturer, passer sous une voiture ou succomber au froid. Un chien trop agressif fera peur et les gens appelleront la fourrière. “Ces chiens errants sont beaucoup plus intelligents que les toutous de salon”, souligne Verechtchaguine. Une bande de chiots sales mais joyeux s’échappent d’un entrepôt. Un gardien, les bras encombrés de bonbonnes en plastique, les fait rentrer en tapant du pied. Il affirme qu’il y a ici 67 chiens. Certains sont allongés dans le sable par petits groupes ; notre présence les fait japper, pour la forme. Des chiots de toutes les couleurs s’amusent comme dans un jardin d’enfants. “Ce sont de futurs sacrifiés, dit Alexeï. A 7 mois, ils quittent la meute et, dans la plupart des cas, ne survivent pas. Si un adulte disparaît et qu’ils peuvent rester, ils ont des chances de s’en sortir, sinon les probabilités sont minces. C’est dur, on s’y attache et on les voit mourir sous nos yeux. C’est un monde très cruel.”
Plusieurs meutes se partagent la zone industrielle. Il n’y a pas de frontières précises, les sphères d’influence se recoupent. Un loup pris sur le territoire d’une meute qui n’est pas la sienne risque sa vie, mais les chiens sont plus tolérants. Seul le gîte appartient en propre à la meute, le reste est commun, chacun peut traverser, mais il vaut mieux ne pas traîner et bien choisir les endroits que l’on marque. Les chiens passent un temps fou à prendre connaissance du marquage des autres et à laisser leur marque à eux. Contrairement à leurs congénères domestiques, les chiens sauvages ne font pas cela de façon chaotique, ils choisissent les intersections de parcours principaux. Chaque odeur est unique et transmet une multitude d’informations sur le sexe, l’âge, la situation physique et émotionnelle, l’activité sexuelle. Il se crée ainsi un espace d’information, une liste de données renouvelée tous les jours et consultée avec attention. C’est dans le même but qu’ils se mettent parfois à aboyer la nuit, ensemble. Ils possèdent également tout un répertoire d’attitudes, mais nous ne pourrons pas l’observer ici, car ces chiens se connaissent suffisamment pour ne pas avoir à l’employer. Leur compréhension mutuelle est incroyablement développée, ils passent leur temps à analyser l’état d’esprit de leurs partenaires. “Quand on commence à comprendre ce qui se déroule entre eux, on ne peut plus s’en défaire, avoue Alexeï. C’est un spectacle fascinant.” Les relations entre les meutes sont généralement pacifiques, les chiens se rencontrent, se flairent et se séparent, mais il arrive aussi qu’ils se fassent la guerre. Les choses dégénèrent au moment des chaleurs, si les voisins se montrent trop entreprenants, ou si une meute jeune, en pleine ascension, commence à lorgner le territoire des autres et ne se contente pas de laisser ses marques, mais gratte aussi le sol. Le plus souvent, ils se livrent des bagarres brèves et vite oubliées, s’efforçant de tout régler de manière rituelle, sans violence. Mais parfois le conflit évolue vers une guerre impitoyable, pour aboutir à la défaite de l’une des meutes, à l’occupation d’une partie de son territoire ou, si les plus solides meurent, à sa disparition totale. La nuit, lorsque vous entendez un chœur de hurlements qui s’élève au-dessus de la zone industrielle, c’est souvent celui d’une meute qui a gagné.
Les gens ont peur des chiens errants. Régulièrement, les journaux racontent des stupidités racoleuses, prétendant que des chiens auraient dévoré quelqu’un, et incitent à la reprise des captures massives. En réponse, les scientifiques conseillent de se souvenir des Jeux olympiques de 1980 : juste avant leur ouverture, tous les chiens de Moscou ou presque avaient été exterminés, ce qui avait aussitôt entraîné une prolifération des rats dans la capitale. “Les chiens les mangent rarement, précise Alexeï Verechtchaguine, mais ils ne les laissent pas échapper. Ce sont des concurrents pour la nourriture ; de plus, confrontés à l’odeur d’urine d’un prédateur, les rongeurs se multiplient deux fois moins.” Les captures systématiques sont absurdes, car la population canine se rétablit vite et les gardiens prennent des chiens de toute façon. Quand la situation est stable, les meutes tiennent leur territoire et empêchent l’afflux de chiens et de renards venus de plus loin, préservant ainsi la ville de la rage. Mais évidemment, si un chien attaque, il faut le neutraliser. Je demande ce qu’il convient de faire dans ce cas-là. “D’abord, ne pas avoir peur, insiste mon guide. Ils ressentent parfaitement les émotions, et un humain effrayé a une odeur spéciale. Or, dans leur logique, celui qui a peur est un ennemi.” Il ne faut pas non plus s’enfuir. La bonne attitude consiste à pousser un cri résolu d’une voix profonde et à se pencher comme pour ramasser une pierre. Normalement, ça marche. Eux aussi ont peur. C’est pour cela qu’ils aboient. Ils crient que c’est leur territoire et tentent de savoir qui est l’intrus. Ils n’ont rien contre les humains, mais chaque meute a connu des expériences singulières, et certains ont peur des hommes gros, d’autres craignent les enfants. Les femelles sont plus agressives quand elles élèvent leurs petits.
Deux ados en scooter passent devant l’entrée de l’usine. Les chiens bondissent et se lancent à leur poursuite avec force aboiements. “Pour eux, la ville est un milieu très complexe, constate Verechtchaguine. Ils ne savent pas comment se comporter face à un véhicule. C’est un objet à l’odeur détestable mais sans signification, qui a une voix incompréhensible, dénuée d’émotions. Ce n’est pas vraiment vivant, mais certainement pas mort non plus. Ça va vite, il faut courir après. En outre, faire déguerpir une chose pareille est un acte héroïque. Pensez donc, un truc aussi gros, rugissant, et moi, je le chasse !” Ce déchiffrage des aboiements n’est que partiel, en fait personne ne sait vraiment ce qui se passe dans la tête des chiens, à quoi ressemble leur univers et comment ils interprètent les informations qu’ils reçoivent. Il existe des théories très élaborées à ce sujet, mais les experts affirment que notre appareil cognitif n’est pas adapté pour comprendre les animaux. Mais ils sont persuadés que, le jour où nous y parviendrons, nous apprendrons beaucoup de choses sur nous-mêmes.
Alexandre Bourtine

http://www.courrierinternational.com/article/2005/11/24/ma-vie-de-chien-errant-a-moscou
 
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